🎶Une pilule une p’tite granule, une crème, une pommade 🎶Ya rien de mieux mon vieux, si tu te sens malade… 🎶
Au coeur de Manille se trouve l’église de Quiapo, connue dans le monde chrétien pour renfermer le Nazaréen noir. Il s’agit d’une sculpture de bois, grandeur nature, représentant le Christ portant la croix du calvaire sur son épaule.
Si cette oeuvre est célèbre chez les fidèles hispaniques, c’est qu’elle a survécu à plusieurs catastrophes dont quelques incendies. On se mit alors à lui prêter des vertus miraculeuses et nombre de chrétiens affirment lui devoir leur guérison instantanée.
Le Nazaréen noir n’est cependant pas le seul faiseur de miracles des environs.
La plaza Miranda, une véritable cour des miracles!
Devant l’église Quiapo s’étend la Plaza Miranda, une place animée où se déploie un immense marché dont les extrémités se perdent dans le labyrinthe de ruelles qui entourent l’église.
C’est au coeur de ce dédale mercantile que se regroupent les apothicaires de Manille. Ils se disputent le lucratif terrain du miraculeux avec autant de guérisseurs, de diseuses de bonne aventure, de chamans, d’experts en science occulte, d’alchimistes et de vendeurs d’amulettes ou autres cristaux de charlatan destinés à tous les niveaux de crédulité.
Les apothicaires de la Plaza se targuent de détenir le remède à tous les maux. Ils vous présenteront une multitude de potions de leur confection afin de venir à bout de tous les problèmes humains possibles.
On guérit autant le corps que l’âme: rhumatismes, rougeole, conflits familiaux, pneumonie, retour de l’être aimé…ici, tout problème est soluble! On vous dira guérir la schizophrénie ou même le SIDA, et ce, sans distinction de race, de sexe, de conviction ou de croyance religieuse. Suffit d’avoir la foi… en votre bienfaiteur, bien sûr! Ah oui, suffit aussi d’avoir un peu d’argent. Enfin, parfois pas mal d’argent; il est bon d’investir dans sa santé!
Évidemment, il ne faut pas chercher à savoir. On vous tendra une flasque, mais son contenu demeura inconnu. Les apothicaires, qui y écoulent élixirs douteux et potions diverses, vous assureront que leur science, ancestrale, est d’une redoutable efficacité depuis la nuit des temps. Mais ne posez pas de question inutilement: le secret de la potion magique ne peut se transmettre que de bouche de druide à oreille de druide. Y a pas que Panoramix qui a pensé à celle-là!
Vous ne faites pas confiance à ces sympathiques pharmaciens? Qu’à cela ne tienne! Il y a d’autres alternatives.
Tantôt, c’est un aromate préparé par on-ne-sait quelle vieille grand-mère d’un village reculé qui, elle-même, tient la recette d’on-ne-sait qu’elle autre grand-mère, plus vieille encore et d’un village encore plus reculé…
Plus tard, se sera des amulettes bénies par un saint homme venu de loin, très loin! Plus loin encore que les deux villages reculés des grand-mères précitées… Il n’existera qu’un seul exemplaire de cet objet sacré, rare, puissant, mais comme vous avez une bonne âme, on se résignera à vous le léguer… Juste pour vous! Dieu que la vie est bonne avec le touriste de passage; encore meilleure pour celui dont la bourse déborde de pesos philippins!
Vous trouverez à leurs côtés des chamans qui sauront enchanter vos mauvais esprits, ou des sorciers aux dons magiques qui ont été, vous-diront-ils, choisis pour aider le sort de l’humanité…Sortez-vos billets et ils vous béniront sur le champ! Oui, ben, pour sauver le genre humain, ça prend un minimum de financement!
Vous aurez compris la gamique; il en va ainsi pour toute cette ribambelle de maraudeurs.
Parmi tous les élixirs vendus, le plus célèbre est sans-contredit la fameuse Pamparegla. Avec ces innombrables vertus, elle semble pouvoir tout guérir! De l’obésité au cancer, en passant par les troubles érectiles ou les simples maux de tête. C’est LE remède par excellence! L’élixir-miracle! Celui qui guérit tout! Imaginez, l’intégrale de la pharmacopée dans la même fiole!
Comme nous allions visiter l’église de Quipao, je m’étais fixé une mission: dénicher la fameuse Pamparegla! Enfin, juste la trouver; je n’allais pas la tester quand même…
Ma quête
Nous voilà donc, Raph et moi, au sortir de l’église, à regarder le chaotique marché qui se déployait devant nous. En quelques pas, la cohue nous envahie. Les passants sont nombreux, les cris fusent de toutes parts et une animation contagieuse nous fait déjà vibrer.
À quelques mètres du parvis s’entassent de nombreuses vendeuses de cierges. Impossible de les manquer. Des dizaines et des dizaines de chandelles sont offertes pour être brulées sur place. Suivant leur couleur, elles vous apporteront chance, bonne fortune ou attireront les anges pour vous protéger.
Elles sont très populaires et leur commerce, lucratif. On trouve beaucoup d’acheteurs malgré l’air bête que ces vendeuses affichent, toutes, immanquablement! Je vivais presque un malaise à passer à leur côté. À n’en point douter, aucune couleur de cierge n’apporte le sourire ou le bonheur au travail! Ça se verrait!
Derrière ce mur d’étals de cire, le marché prend de l’expansion. Différents comptoirs présentent des marchandises plus disparates les unes que les autres: sous-vêtements, appareillages électroniques, DVD érotiques, ferblanterie, babioles non-identifiables…on trouve de tout! Comme dans tout bon marché asiatique, des commerçants vantent bruyamment la fraîcheur de leurs denrées comestibles: poissons, viandes, fruits, légumes et mille autres encas à consommer sur le pouce.
Fidèles à notre habitude, on se laisse entraîner par la foule; le courant humain nous porte tranquillement. Arrivant immanquablement aux extrémités, Raph et moi bifurquons à plusieurs occasions pour revenir vers le centre par des sillons que nous n’avons pas encore empruntés.
On passe un beau moment (on adore les marchés!) mais malgré nos recherches, nous ne trouvons pas les vendeurs de potions. Les amulettes? Elles sont partout! Les enseignes des chamans sont évidentes et on soupçonne bien quelques kiosques de renfermer des sorciers un peu louches mais… pas de remède miracle!
On demande des indications, mais bien peu de locaux sur place ne parlent anglais. Mon tagalog, lui, est limité à quelques formules de politesse. Peu utile dans ma recherche. (Le tagalog est le dialecte le plus courant aux Philippines). On nous dirige à quelques reprises vers des comptoirs d’herbes fraîches, mais elles sont manifestement destinées aux cuisiniers plus qu’aux guérisseurs.
Je change de tactique. Je me mets à nommer directement l’objet de ma quête : Pamparegla. Enfin, j’ai des réactions. Soit des malaises, soit des sourires… quelques rires aussi. On me pointe des directions un peu imprécises, mais tout de même, j’ai une piste. Plus je m’approche, plus je sens que les gens hésitent à me pointer des kiosques directement. J’ai l’impression de jouer à « c’est chaud, c’est froid ». L’inconfort de certains est manifestement perceptible.
Au détour d’une ruelle que nous n’avions pas empruntée, je remarque plusieurs petits comptoirs tenus par des dames: les étalages sont emplies de petites sacs d’herbes variées, de fioles et de flasques aux multiples liquides colorés.
Je me lance: pamparegla? La dame me dévisage et, sans me répondre, s’adresse à ses amies en ricanant. C’est le fou rire généralisé! Malgré leur discussion en tagalog, je n’ai plus de doute: je suis à la bonne place.
J’interpelle à une autre dame.
–Oooohhh, pamparegla… qu’elle me répond. Elle débite alors plusieurs phrases incompréhensibles, sourire aux lèvres. Je ne pige rien du tout mais, manifestement, quelque chose la fait rigoler. À un moment, je constate qu’elle porte constamment le regard vers… mais oui, elle me fixe littéralement la fourche!!!
Les problèmes érectiles… voilà ce qui les fait rire! Si je cherche la pamparegla, c’est forcément parce que… Je joue un peu le jeu, mais mis à part des rires de gamines complices, je ne trouve toujours pas ce que je cherche. Je vais tenter avec les voisines, peut-être parlent-elles un peu anglais.
Je n’ai pas le temps de changer de comptoir que, déjà, les premières vendeuses crient au reste de la rue mon arrivée imminente. Bientôt, il y eu comme une rigolade contagieuse sur mon passage. Pour l’approche subtile, c’était manqué! Par chance que je n’avais pas de réputation à conserver en cet endroit. Raphaëlle, qui se payait bien ma tête, me dit d’un air rassurant de ne pas m’inquiéter; on allait bien trouver un remède pour mes troubles érectiles!
Je finis par croiser quelques comptoirs qui présentaient ledit remède. Je m’enquis sur son contenu, sa conception. Évidemment, je n’eus que de vagues réponses. À travers un anglais faible, baragouiné à la volée, je compris qu’il s’agissait d’une concoction d’herbes naturelles.
M’informant de l’utilité, j’eus droit à plus d’éclaircissements. On me parla de remède général, de trouble érectile (évidemment!) mais surtout, de menstruations. C’est l’explication qui revenait le plus souvent. La pamparegla était destiné aux dames, avant tout. Ceci explique cela.
Les vendeuses tentèrent de me vendre quelques tisanes miraculeuses ainsi qu’une certaine huile de serpent. On me pointa aussi des cristaux et des pierres magiques probablement enchantés par de puissants alchimistes. Je posai plusieurs questions sur lesdits produits mais, s’apercevant que je n’étais pas preneur, elles ne perdirent pas plus de temps avec moi.
Je tentai de revenir sur la pamparegla mais la réaction fut cette fois glaciale. Je posais trop de questions, c’était on ne peut plus clair! Et elles ne semblaient pas du tout apprécier; ça aussi, c’était clair!
Un petit groupe de dames, un peu à l’écart, continuaient de me regarder et me pointaient en tout en discutant. Une commerçante qui assistait à la scène m’expliqua que ses femmes me trouvaient de leur goût et discutaient entre elles de ma disponibilité…Ouin, il était temps de partir!
Pamparegla: ce qu’il en est vraiment…
Je restais néanmoins sur ma faim. De retour à l’hôtel, je fis quelques recherches supplémentaires. Je découvris l’explication pour certains malaises rencontrés dans la journée. Il est vrai qu’il y a peu de temps encore, la pamparegla était connue comme un remède-miracle qui pouvait presque tout guérir. Aujourd’hui, sa réputation est toute autre.
Les Philippins sont de fervents chrétiens et l’influence de l’église y est très puissante. Dans le pays, la contraception est condamnée quelles que soient ses formes. L’avortement y est aussi criminel et tant la femme concernée que le médecin qui le pratique encours de lourdes peines d’incarcération. Les avortements illégaux sont donc hors de prix. Plus encore, dans leur moralité chrétienne, il s’agit d’un grave péché et bien des femmes ne veulent pas y recourir.
La pampapregla est devenue une « solution miracle » à leur « problème ». Lorsqu’on la vend, on ne leur parle pas de fausse couche ou d’avortement chimique. On la leur présente comme un remède qui ramène les menstruations et ce, même après un arrêt de plus de trois mois. On vous guérit, tout simplement! On n’interrompt aucune grossesse, on régularise à nouveau vos menstruations.
La sous-éducation de bien des philippines aux prises avec une grossesse illégitime est ainsi exploitée. Il va sans dire que la prostitution, très présente dans les rues de Manille, constitue un terreau fertile pour ces vendeuses.
La réalité, c’est que la pamparegla est devenue un poison dangereux fait à base d’un peu n’importe quoi qui peut déclencher une fausse couche. Quitte à employer des insecticides. Commerce oblige, on la veut efficace et elle s’avère donc de plus en plus puissante et toxique au point de devenir un fléau. On ne compte plus les hospitalisations et il y aurait même eu des décès.
Les autorités tentent d’en combattre le commerce. De plus en plus de sensibilisation et de campagnes d’informations ont cours pour persuader les jeunes filles de ne pas recourir à ce produit. Ça explique le désagrément causé par mes multiples questions.
Ça explique aussi pourquoi les vendeuses de pamparegla se retrouvent souvent autour des églises. Ces femmes, désespérées, viennent prier leur sauveur de les aider. Et comme à l’église de Quipao se trouve un Nazaréen noir qui se veut miraculeux…
Suffit dès lors de cueillir les clientes à la sortie de la maison de Dieu et de leur offrir de les guérir de leurs « irrégularités menstruelles ». On a beau avoir invoqué tous les saints du ciel, vaut mieux ne pas prendre de risque. Car comme disait l’autre:
Prie Dieu, mais barre les portes de ton char!
Miguel
Drôle et très fouillé comme d’habitude, bravo Miguel!
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Bravo Miguel,
C’est très intéressant ce périple dans un marché de Manille et surtout les info sur le produit miraculeux qu’est le pamparegla!
Bon suite à votre voyage et encore de nombreuses découvertes.
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