L’histoire de Soudhat…ou l’occasion de relativiser un peu nos épreuves. 


La vie, c’est à 10% ce qui nous arrive, et à 90% la façon dont on y réagit. – Charles Swindoll

Je suis de ceux qui croient qu’on ne peut jamais vraiment estimer le fardeau que porte son prochain, et ce, même en connaissant son histoire.

S’il est difficile de faire une lecture juste de la grandeur des épreuves qu’il a pu rencontrer, il est encore plus ardu de mesurer le poids que ces dernières occupent sur ses épaules. Peu importe la nature du fardeau, qu’il nous paraisse petit ou gros. Trop de facteurs nous échappent; les comparaisons deviennent futiles. Il est même plutôt hasardeux de s’y risquer. Le comprendre ne limite nullement la compassion, mais amenuise substentiellement le jugement qu’on porte sur les autres, consciemment ou pas. Enfin, je le crois…

Il arrive cependant que certaines personnes vivent des épreuves, d’une ampleur telle, qu’on peut aisément reconnaître qu’elles ont un impact énorme sur leur vie. Objectivement, leurs poids devient un constat presque manifeste.

Après plusieurs années à oeuvrer en protection de la jeunesse, en agression sexuelle, en maltraitance d’enfants et autres crimes contre la personne, disons que des drames humains et des histoires de vie pathétiques, j’en ai entendus pas mal. C’est là le lot de tous ces braves gens qui choississent de travailler dans ces domaines. (Je les salue d’ailleurs; amis et collègues.)

De temps à autre, ces rescapés semblent avoir traversé leur calvaire avec une surprenante résilience. Lorsqu’ils nous racontent leur vécu, on peut être frappé à la fois par leur équilibre et leur confiance en la vie, étonnamment toujours présente. Parfois aussi, ces survivants, qu’ils soient stoïques ou non,  deviennent de véritables sources d’inspiration. Sans les transformer en philosophes, les écouter nous narrer leur récit peut nous amener, à l’occasion, à relativiser nos propres épreuves…

Des personnes fortes, résilientes et inspirantes, j’en ai aussi rencontré pas mal. Je me garde toujours de comparer leurs parcours mais, quelques fois, sans raison apparente, certaines histoires viennent nous toucher plus que d’autres…entres autres lorsque la malchance semble s’acharner sur eux, et qu’on les voit s’en relever malgré tout.

Récemment, j’ai rencontré une des ses personnes. Laissez-moi vous en parler.

Chauffeur de tuk-tuk à Trincomalee, Soudhat est un homme aimable et souriant. Un bon vivant; m’a t-il semblé, du moins. Curieux, il s’intéresse aux gens qu’il rencontre et échange de bon coeur avec eux. Comme nous avions un trajet passablement long à effectuer, nous eûmes la chance de dialoguer un brin ensemble.

Trincomalee est une ville de la côte est du Sri Lanka et je savais que nous longions alors des régions qui furent frappées par le terrible tsunami de 2004. Vous savez, c’est cet effroyable raz de marée qui balaya l’océan indien un lendemain de Noël. (Note en bas de page no 1)

D’ailleurs, tout au long des plages, on peut encore observer de nombreux immeubles détruits par la catastrophe et toujours abandonnés aujourd’hui, même après tant d’années.

 

 

 

Depuis la tragédie, les habitants se sont d’ailleurs empressés de revamper le fameux Koneswa-ram Kovil. Il s’agit d’un sanctuaire érigé au sommet d’une falaise rocheuse haute de 130 mètres. On peut apercevoir de très loin la gigantesque statue de Shiva qui trône à l’entrée du temple. Ce sanctuaire, parmi les sites hindous les plus importants du pays, fait parti des cinq temples de Shiva érigés pour protéger l’île des catastrophes naturelles.

Je le questionnai donc au sujet du tsunami. Il m’en parla avec beaucoup d’emphase, m’expliquant qu’il était lui même sur place lorsque l’océan a déferlé sur eux. Il me parla de vagues immenses. « Beaucoup plus plus hautes que les palmiers » disait-il. Il fût aussi témoin de tous ces animaux qui, animés par leur instinct, coururent vers les terres plusieurs minutes avant la catastrophe. Il m’expliqua que plusieurs voisins et amis furent victimes des évènements…Référant au seigneur Vishnu,  il me dit que la vie avait été bonne avec lui et qu’il se trouvait très chanceux d’avoir survécu.

 

Au cours de la discussion, il me demanda si nous avions visité Jaffna, capitale de la région tamoule, au nord du pays. Je lui répondis que, malheureusement, nous n’avions pas prévu nous rendre jusque là. Originaire de ce coin du pays, c’est empreint de fierté qu’il tenta de nous convaincre d’y faire un saut, arguant que le nord du Sri Lanka était magnifique.

Curieux comme je suis, je ne pu m’empêcher de le questionner sur la guerre civile qui eût cours dans cette région, mais surtout sur les possibilités de voir ce conflit recommencer après seulement quelles années de trêve. (Note en bas de page no 2)

Lui même tamoul, il sembla assez optimiste à ce sujet. Il en connaissait long sur la question: il m’expliqua qu’il avait dû fuir le nord, il y a de cela quelques années,  alors que la guerre avait ravagé son monde et sa vie.

Sa mère fut assassinée. Son frère avait mystérieusement disparu, tout comme d’autres membres de sa famille et plusieurs de ses amis. On ne les avait jamais revus. Il savait trop bien ce qui leur était arrivé… Lui même s’était fait attaquer et un tir lui avait transpercé le bras gauche, brûlant et déchirant sa peau sur presque toute sa longueur. Avec insistance, il m’intima de regarder les profondes cicatrices qui couvraient son bras et m’exprima à nouveau sa chance d’être toujours en vie.

Sa famille décimée et craignant pour sa vie, il avait pris la décision de venir s’installer à Trincomalee quelques années avant la trêve. Le temps de se refaire une vie…avant que ne frappe à nouveau le destin, cette fois par l’entremise du terrible tsunami!

Une dizaine d’années plus tard, il y était toujours…bien vivant! Il me parla de sa femme, de ses enfants…bref, il continuait à vivre sa vie, m’offrant sourires et bonne humeur.

Évidemment, je ne prétends pas connaître véritablement Soudhat.  Je ne connais rien de ses tourments, ni des démons qui le visitent la nuit.  J’ignore les conséquences qu’il traîne avec lui, ni l’intensité des séquelles qu’ont eu ces évènements sur sa vie et, disons-le, sur sa santé mentale. Est-il toujours aussi heureux? A-t-il encore confiance en la vie? Véritablement? Je ne le saurai jamais.

Cependant, de l’écouter me parler de ses deux tragédies, je ne pu m’empêcher de penser à mes propres difficultés…aux obstacles rencontrés sur ma route…à mes propres épreuves…

Comme je ne pu m’empêcher de relativiser la gravité de celles-ci.

Sans prétention, et sans vouloir faire naître en vous quelques réflexions, j’ai voulu vous partager un petit bout de son histoire.

Miguel

 

Note en bas de page no 1

LE TSUNAMI 

Le 26 décembre 2004, dans l’océan Indien, s’est produit un séisme au large de l’île indonésienne de Sumatra alors que deux plaques tectoniques ne sont heurtées. S’en suivit un des tremblements de terre les plus puissants jamais enregistrés dans l’histoire.

Une bande de plancher océanique fût soulevée jusqu’à 6 mètres de hauteur sur une distance de 1 600 kilomètres. S’est formé, près de vingt minutes plus tard, un tsunami atteignant plus de 30 mètres de hauteur. Il frappa l’Indonésie, bien sûr, mais aussi les côtes du Sri Lanka, du sud de l’Inde et de l’ouest de la Thaïlande. Lorsque la vague se retira, la zone inondée s’étendait sur plus d’un kilomètre à l’intérieur des terres.

Considéré comme le plus grave tsunami de l’histoire humaine et il a fait des victimes sur l’ensemble du littoral de l’océan Indien. Au moins 220 000 personnes furent tuées, dont près de 170 000 en Indonésie, 31 000 au Sri Lanka, 16 400 en Inde et 5 400 en Thaïlande. C’est sans compter les sinistrés et les nombreux disparus puisque ces régions du monde comptent beaucoup d’itinérants et de sans papier. Ce tsunami frappa l’imaginaire pour être survenus, bien sûr, le lendemain de Noël, mais aussi puisqu’il est l’un des plus meurtriers.

 

Note en bas de page no 2

LA GUERRE CIVILE AU SRI LANKA 

La guerre civile du Sri Lanka se déroula officiellement de 1983 à 2009.  Dans les faits, le conflit avait cours depuis le début des années 70. Elle opposa le gouvernement du Sri Lanka, dominé par la majorité cinghalaise bouddhiste, et une organisation séparatiste qui luttait pour la création d’un état indépendant dans l’est et le nord du pays, majoritairement peuplé de Tamouls de religion hindoue. Les hindous représente environ 18 % de la population du pays.

Le conflit a causé plus de 70 000 morts, et plus de 140 000 personnes ont été portées disparues. Ce décompte considère tant les massacres du gouvernement que les actes de terrorisme des Tigres de libération de l’Îlam tamoul.

En bref, un autre conflit sanguinaire et désolant de l’histoire de l’humanité…

Catégories :Sri Lanka

1 commentaire

  1. Chers voyageurs,
    Bravo pour vos commentaires sur les expériences vécues lors de votre périple dans ce coin du monde si éloigné de nous par la culture, la langue, et le vécu quotidien . Merci de nous le partager si généreusement.
    A bientôt et bonne route.
    Suzanne

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  2. En effet, on se regarde, on se désole, on se compare, on se console…ça remet nos perspectives dans un autre angle.

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